Preuve par vidéosurveillance illicite ne signifie pas nécessairement irrecevabilité

Preuve par vidéosurveillance illicite ne signifie pas nécessairement irrecevabilité

Constitue un mode de preuve illicite, l’enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise et au contrôle et à la surveillance de l’activité des salariés, dès lors que l’employeur n’a pas informé les salariés et consulté les représentants du personnel sur la partie d’utilisation de ce dispositif à des fins de contrôle des salariés.

Par un arrêt en date du 10 novembre 2021, la Cour de cassation vient rappeler qu’est illicite la preuve par enregistrement via une vidéosurveillance qui n’aurait pas été préalablement portée à la connaissance des salariés et sur laquelle le CE (aujourd’hui CSE) n’avait pas été consulté. Elle ajoute néanmoins que l’illicéité de cette preuve n’emporte pas nécessairement son irrecevabilité.

Dans cette affaire, la salariée, employée de caisse dans une pharmacie mahoraise, est licenciée pour faute grave, notamment pour avoir saisi une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus. Pour établir la matérialité des faits, l’employeur s’appuie sur les enregistrements vidéo de la pharmacie.

Considérant entre autres que la preuve des faits avait été obtenue illicitement, la salariée décide de saisir le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Elle avance plusieurs arguments pour faire la démonstration de cette illicéité.

  • L’employeur aurait dû consulter le comité d’entreprise de tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, ceci même si ce dispositif n’était pas destiné à opérer exclusivement ce contrôle. À défaut d’une telle consultation, la salariée en déduit que les preuves obtenues via ce dispositif sont illicites.
  • L’employeur doit porter à la connaissance des salariés le dispositif de contrôle préalablement à sa mise en œuvre, étant précisé par la salariée qu’en application de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, dans sa version alors applicable, les salariés devaient être informés de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant (1) notamment. Pour la salariée, la note de service, postérieure à la mise en place de la vidéosurveillance, signée par les salariés et ne contenant pas les informations prescrites par la loi, ne permettait pas de rendre les preuves obtenues licites.

Ces arguments sont balayés par la cour d’appel, qui décide que le mode de preuve est bien licite, contrairement à ce qu’avait tenté de démontrer la salariée !

  • Elle relève que la loi n’impose pas la consultation préalable du CE lorsqu’une vidéosurveillance est mise en place dans un lieu ouvert au public pour assurer la sécurité des biens et des personnes.
  • Elle retient que les salariés avaient été suffisamment informés quant à l’existence du dispositif de surveillance par une note de service signée par les salariés.

Un pourvoi est alors déposé par la salariée devant la Cour de cassation, qui a dû répondre à la question de savoir à quelles conditions un enregistrement par vidéosurveillance est licite et peut-être utilisé en justice.

Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel. Elle constate que le dispositif de vidéosurveillance permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés, et avait d’ailleurs été utilisé à cette fin, sans que cet objectif ait fait l’objet d’une information et d’une consultation préalable. Les enregistrements issus du dispositif sont donc considérés comme un moyen de preuve illicite.La Cour de cassation rajoute et rappelle que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 novembre 2021, 20-12.263

Pas d’obligation de consultation du CSE lorsque l’avis d’inaptitude mentionne l’impossibilité de reclassement du salarié

Pas d’obligation de consultation du CSE lorsque l’avis d’inaptitude mentionne l’impossibilité de reclassement du salarié

Selon l’article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi. Il s’ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personne.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juin 2022, 20-22.500

L’employeur n’a pas à consulter le CSE en cas de modification du règlement intérieur de l’entreprise sur injonction de l’inspecteur du travail.

L’employeur n’a pas à consulter le CSE en cas de modification du règlement intérieur de l’entreprise sur injonction de l’inspecteur du travail.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation amène une précision intéressante sur les modalités de ce document.

En l’espèce, le règlement intérieur d’une société, entré en vigueur en 1983, a fait l’objet d’une modification ultérieure, suite à une injonction de l’inspection du travail. Par la suite, un salarié se voyait sanctionné à trois reprises, en application dudit règlement. A la suite de ces sanctions, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes, sollicitant leur annulation. Le salarié demandait l’annulation de ces sanctions disciplinaires. La cour d’appel lui a donné raison, jugeant notamment que le règlement intérieur était inopposable au salarié pour différents motifs. La cour d’appel retenait alors la nullité des sanctions disciplinaires au motif que le règlement intérieur était inopposable aux salariés. En effet, selon les juges du fond, l’employeur était dans l’obligation de consulter les représentants du personnel avant de modifier ce document suite à l’injonction de l’inspection du travail.

L’employeur contestait, en premier lieu, l’annulation par les juges du fond des sanctions disciplinaires prises à l’encontre du salarié au motif que ces dernières auraient été prononcées sur le fondement de dispositions du règlement intérieur modifiées en 1985, sans avoir fait l’objet d’une consultation des instances représentatives du personnel. Le règlement intérieur était donc, selon la cour d’appel, inopposable au salarié.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision. Elle considère que la cour d’appel a violé le Code du travail dans la mesure où les modifications apportées en 1985 au règlement intérieur initial, qui avait été, à l’époque, soumis à la consultation des institutions représentatives du personnel, résultaient uniquement des injonctions de l’inspection du travail auxquelles l’employeur ne pouvait que se conformer sans qu’il y ait lieu à nouvelle consultation.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 23 juin 2021, 19-15.737

Changer de carburant peut justifier la consultation du CSE sur la marche générale de l’entreprise

Changer de carburant peut justifier la consultation du CSE sur la marche générale de l’entreprise

Dans un arrêt du 7 juillet, la Cour de cassation livre un nouvel exemple d’opération nécessitant une consultation préalable du comité social et économique au titre de la marche générale de l’entreprise.
Entre dans ce périmètre, la décision d’une société de transport de fret de passer à un nouveau carburant exigeant le respect de précautions particulières et ne nécessitant plus la détention du permis de conduire par les conducteurs des véhicules concernés. Les arguments avancés par l’employeur tenant notamment au maintien par note de service de l’obligation de détention de permis dans l’entreprise ont été vains.

Conformément à l’article L2312-8 du Code du travail, le CSE est informé et consulté sur toutes les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise et, notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, les conditions d’emploi et de travail, la durée du travail ou encore la formation professionnelle.

De jurisprudence constante, l’information et la consultation du CSE ne s’impose que si la mesure envisagée par l’employeur ne revêt pas un caractère ponctuel et individuel et il appartient au juge, en cas de litige, d’apprécier souverainement les faits afin de déterminer quel était l’impact de la mesure prise eu égard à l’organisation, la gestion et la bonne marche de l’entreprise. Cette appréciation permettra ensuite d’établir si la consultation du CSE s’imposait ou non.

Cette affaire concernait une entreprise de transports de fret qui avait décidé de changer le carburant de ses véhicules, passant d’un gazole routier à un gazole non routier. Cette décision n’avait pas été soumise à l’avis du CE, la société considérant que ce changement n’avait aucune incidence sur les conditions d’utilisation des véhicules et, partant, sur les conditions de travail des chauffeurs poids lourds qui les conduisaient.

Une omission fautive pour l’institution représentative du personnel, qui saisit la juridiction prud’homale aux fins de faire constater un délit d’entrave et d’obtenir la condamnation de l’employeur de procéder à la consultation.
La demande est accueillie favorablement par la cour d’appel, mais l’employeur conteste la décision et se pourvoit en cassation.

La position des juges est confirmée par la Haute juridiction. Au visa de l’article L. 2323-6 du Code du travail (devenu l’article L. 2312-8), elle considère que la cour d’appel a pu décider que la mesure de passage au gazole non roulant «intéressait la marche générale de l’entreprise», notamment en ce qu’elle «était susceptible d’affecter les conditions de travail des salariés», de sorte qu’elle imposait la consultation du comité d’entreprise. Une décision transposable au CSE.

« La cour d’appel, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve produits, a relevé d’une part que le changement de carburant a pour conséquence que les véhicules considérés ne sont plus soumis à détention de permis de conduire, d’autre part que ce carburant exige le respect de précautions particulières, notamment dans ses conditions d’utilisation. Elle a pu, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en déduire que la mesure en cause intéressait la marche générale de l’entreprise et notamment était susceptible d’affecter les conditions de travail des salariés, de sorte que le comité d’entreprise aurait dû être consulté sur le passage au gazole non routier, l’entrave étant à ce titre constituée, et a ainsi légalement justifié sa décision ».

Cass. soc., 7 juillet 2021, n° 19-15.948 F-D

Possibilité pour le CSE d’afficher des éléments relevant de la vie personnelle d’un salarié sous certaines conditions

Possibilité pour le CSE d’afficher des éléments relevant de la vie personnelle d’un salarié sous certaines conditions

Il résulte des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et L. 2315-15 du code du travail que le respect de la vie personnelle d’un salarié n’est pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l’obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l’affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d’informations relevant de la vie personnelle d’un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l’article L. 2312-9 du code du travail, et que l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, le secrétaire du comité social et économique a procédé à l’affichage sur le panneau destiné aux communications de l’ancien CHSCT, d’un extrait des conclusions déposées par ce dernier au soutien d’une citation directe de la société, examinée par le Tribunal correctionnel le même jour. Cet extrait reproduisait le contenu d’un courriel adressé trois ans plus tôt par l’ancien Directeur de l’établissement au Directeur chargé des questions d’hygiène et de sécurité, libellé dans les termes suivants : « je fais suite à notre conversation téléphonique du […] et notre conversation orale du […] un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude […] pour la bonne forme merci de m’accuser réception de ce mail par retour ».

La Société a fait assigner le secrétaire du CSE à l’époque devant le Président du tribunal de grande instance, afin que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de l’affichage au motif notamment de l’atteinte portée à la vie personnelle du Directeur chargé de la sécurité.

La Cour d’appel a débouté la société de sa demande en retenant que l’intérêt du courriel, qui révélait la position de la direction sur la communication autour de l’amiante, sujet source d’inquiétude pour les salariés, était suffisant pour justifier l’atteinte aux droits fondamentaux du salarié.

Ce raisonnement est cependant cassé par la Cour de cassation : la Cour d’appel aurait dû s’assurer que l’affichage était indispensable à l’exercice des missions du CSE et que l’atteinte portée à la vie personnelle du salarié était proportionnée au but poursuivi, démonstration qui n’était pas faite en l’espèce.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 février 2022, 20-14.416, Publié au bulletin